Cela faisait plusieurs heures que Maëlle et Rolland voyageaient. Maëlle était restée silencieuse depuis tout ce temps, ne sachant quoi dire. Devenir écuyer était la première étape d’un long parcours vers son objectif. Il demande forcément des sacrifices. En effet, il était évident que Maëlle ne reverrait peut-être jamais Jean et Capucine, eux qui ont été si bons pour elle. Toutes ces années resteront à jamais gravées dans son cœur. Des années tranquilles, simples, et aimantes. Elle finit par reprendre ses esprits et demanda au chevalier où se trouvait leur destination.
– Nous nous dirigeons vers la châtellenie du Basilic. Là-bas, nous rentrerons au service de la maîtresse des lieux.
– Maîtresse ? Il n’y a pas de maître ?
– La dame est veuve depuis peu et j’ai ouïe dire qu’elle désirait être sous la protection d’un chevalier. Si elle accepte mon offre, nous logerons là-bas quelque temps.
Ils continuèrent leur route jusqu’à la nuit. Au détour d’une chapelle, ils s’arrêtèrent pour dormir. Maëlle assura sa première nuit de garde. Elle s’acquitta de sa tâche de manière ardue, non sans goûter au déplaisir du froid qui vous ronge les os et à la chaleur d’un feu qu’on n’arrive plus à sentir. Le confort de l’auberge demeurait bien loin maintenant. Maëlle, comme quasiment toutes les personnes de son village, n’avait jamais rien vu d’autre du pays. Elle connaissait tout son hameau par cœur : la senteur des arbres, les meilleures cachettes, les vitraux éblouissants de l’église, le rythme des moissons. « Un peu de rudesse, ça ne te fera pas de mal, Maëlle » se dit-elle à elle-même.
Quand la lumière du jour effleura son visage, elle faillit s’endormir. Heureusement, elle se fit sursauter pour se donner de l’énergie. En se levant de son tronc d’arbre, elle se dégourdit les jambes. Premières corvées du jour : nourrir et donner à boire au cheval, sortir des morceaux de pain en guise de premier repas de la journée et réveiller son maître.
Encore une fois, Maëlle s’amusait beaucoup avec ce cheval qui semblait plus farceur avec elle qu’avec Rolland. Alors elle joua avec lui, lui cueillant une fois de plus une pomme. Elle l’amena à ses lèvres et le cheval réagit en bougeant sa tête et en hennissant. « Chuuuuuuuut ! Quel mauvais cheval tu ferais si tu réveillais ton maître ? En plus, c’est mon devoir de le réveiller. Tu veux me prendre ma place ? » demanda Maëlle au cheval qui répondit en tapant du sabot. Elle rapprocha de nouveau la pomme de sa bouche et croqua à pleines dents. Elle ria en voyant le cheval tentait de prendre la pomme de sa main. Elle essaya alors de le dresser en lui faisant comprendre qu’il n’aurait rien tant qu’il serait agité. Quand l’animal finit par se calmer, elle lui donna son dû.
Maëlle réveilla doucement son maître. Elle dut lui remettre son armure qui, il faut l’avouer, était une belle pièce. La jeune écuyère était fascinée. Ce chevalier Rolland devait être un noble très important. Elle boucla la dernière lanière et ils montèrent tout deux sur le cheval. La jeune apprentie avait du mal à atteindre la croupe de l’animal du premier coup. Et c’était bien normal : les gens de bas étage n’apprenaient pas l’équitation. Cet art noble était réservé aux grands de ce monde. Maëlle pourra donc toucher du doigt une disciple illustre, tellement essentiel pour un chevalier. Rolland riait de sa maladresse et lui promit que très vite il deviendrait un meilleur cavalier.
Ils continuèrent le voyage toute la journée. Maëlle finit par s’endormir sur le dos du chevalier. Rolland afficha un sourire. Cet enfant était très attendrissant. Il s’était déjà beaucoup attaché à son nouveau disciple. Cependant, Rolland devait juger de ses capacités à tout moment et prendre note de ses progrès qui devaient être constants. Le chevalier n’eut pourtant pas le cœur de le réveiller. Après tout, il était certain qu’il avait accompli sa nuit de garde et il avait montré qu’il s’occupait bien du cheval et de l’armure. Il ne pourra que devenir un combattant excellent.
Maëlle se réveilla enfin vers midi, elle se redressa immédiatement voyant son contact avec le chevalier et manqua de tomber. Rolland ne manqua pas de lui reprocher sa maladresse. Maëlle s’en excusa, arguant qu’elle ferait tout pour estomper ce défaut. Ayant repris de l’énergie, la jeune élève ne tarda pas à poser quelques questions.
– Vous connaissez cette dame, maître ?
– J’ai déjà accompagné son époux dans certains de ses voyages. Je n’ai eu l’occasion de voir la châtelaine qu’une fois. En ce temps, elle n’était qu’une enfant promise au suzerain. Aujourd’hui, elle doit être un peu plus âgé que toi. En tout cas, elle est en âge d’enfanter. C’est d’ailleurs dommage qu’au moment où leur mariage pouvait être consommé, le châtelain disparaisse.
– C’était un homme âgé ?
– Tu es bien curieux ! Un autre défaut, en plus de la maladresse ? Cette fois-ci un défaut de femme en plus ! Il faudra que tu te refreine. D’autant plus que tu ne peux pas te permettre ce genre de familiarité avec n’importe qui. Il n’y aura qu’à moi que tu pourras poser des questions. Personne d’autres. Pour y répondre donc, oui, c’était un homme assez âgé. Il avait déjà eu une femme auparavant mais elle ne lui avait pas donner d’enfant : elle n’eut que des fausses couches qui n’ont fait que l’épuiser jusqu’à la mort. La châtellenie est donc maintenant en possession de dame Ode et c’est parce qu’elle n’est pas la seule héritière de son défunt époux qu’elle a besoin de protection. En effet, elle soupçonne son beau-frère de vouloir l’assassiner.
Maëlle n’en demanda pas plus. Rolland parlait assez pour satisfaire sa curiosité. Ils commencèrent à apercevoir les terres de la châtellenie de Basilic et tout en haut d’une colline, le château de la suzeraine. C’était un vieux château tout délabré. Maëlle s’imaginait déjà les toiles d’araignées qui pouvait hanter la noble demeure. Ils s’enfoncèrent dans les terres de la châtellenie, saluant au passage les villageois. Dans son village natal, le labeur se trouvait surtout dans les champs, les pâtures et au moulin, seul outil technologique du village.
Ici, les habitants étaient beaucoup plus avancés : beaucoup possédait des charrues et on ne comptait plus le nombre de femmes qui tissaient sur le bord de la route. C’était le domaine du tissu. Laine, lin et pigments étaient les trois composantes de leur richesse économique. Il n’y avait que peu de place pour l’alimentaire, ce qui surprit Maëlle. Elle eut envie de demander à Rolland comment cela était-il possible, mais elle arrêta son initiative, se disant que c’était de la curiosité.
Rolland annonça son arrivée aux gardes en haut des tours. Ils ouvrirent le pont-levis permettant le passage des deux nouveaux venus. Dans la cour, une dame de compagnie les accueillit et les mena jusqu’à la salle du siège. La châtelaine Ode ne les attendait pas. Elle était effondrée sur le trône, en pleurs. Une servante s’empressa de redresser sa maîtresse et de présenter le chevalier et son disciple. En un instant, la frêle fille devint plus belle. Elle essuya ses larmes et commença à parler.
– Je vous souhaite la bienvenue dans la châtellenie du Basilic. Veuillez excuser mon manque de tenue, nous ne recevons que peu de visiteur ces temps-ci. Quel vent vous amène ?
– J’ai été mis au courant de votre détresse au long de mon chemin. En souvenir de votre aimé et défunt époux, je suis venu vous proposer ma protection en échange du gîte et du couvert, pour moi chevalier Rolland ainsi que mon écuyer Maël, tant que cela vous sera nécessaire, prononça-t-il en s’agenouillant respectueusement, suivie de Maëlle qui ne manqua pas de maladresse.
– Votre aide est des plus heureuses. J’accepte votre offre charitable chevalier Rolland. Ce château manquait justement de compagnie, mais encore plus de sécurité. Merci infiniment d’être arrivés dès que vous avez appris la nouvelle. Ma domestique va vous amener vers vos appartements. Je vous en prie, allez vous installer et vous rafraîchir quelque peu. Nous nous reverrons au dîner.
Rolland et Maëlle se relevèrent et partirent dans la direction indiquée par la servante. Ils montèrent de nombreux escaliers lugubres, privé de lumière et d’air frai. La dame de compagnie ouvra la porte de leur chambre et prit le linge sale, en précisa qu’elle préparerait un bain. Elle viendrait les chercher quand il sera prêt. L’écuyer n’avait plus rien à faire pour l’instant. Les linges et l’armure allait être nettoyer par quelqu’un d’autre et le cheval était à l’écurie. Rolland lui précisa que les jours suivants, il devrait tout de même accomplir ses tâches.
Maëlle prit soudainement peur. Il fallait qu’elle vérifie quelque chose. Elle demanda congé à son maître qui lui accorda. Elle sortit en vitesse de la chambre pour essayer de rattraper la domestique. Elle n’eut pas de chance car à travers toutes les salles du grand château froid, elle avait perdu de vue la servante. Elle continua toute de même sa course espérant tomber sur la personne ciblée. Cependant, elle trébucha bien sur quelqu’un mais pas la bonne personne. C’était la châtelaine, et elles s’étaient toutes deux retrouvées dans une position des plus gênantes. Maëlle se releva tout de suite et s’empressant de relever la dame de haut rang. La châtelaine sourit malgré la douleur de l’impact. L’écuyer s’excusa de toute son âme, espérant le pardon de la dame. Ode le lui accorda fort volontiers.
– Ne vous inquiétez pas, jeune homme, ce n’est pas une simple chute qui va m’abattre, insinua la châtelaine. Mais avouez qu’il est étrange de voir un écuyer courir dans les couloirs, alors qu’il devrait être auprès de son maître !
– Je manque à tous mes devoirs, Madame, mais j’ai le désir de réparer mes fautes. Je suis venue parler à votre domestique.
La jeune maîtresse lui indiqua l’endroit où elle devait se trouver. Maëlle partit de nouveau à toute allure, ce qui amusa encore la châtelaine. L’écuyer avait été troublé … Ode était d’une beauté exceptionnelle, la jeune apprentie n’avait jamais rien vu de telle auparavant. Les gens de son village possédaient tous la peau mate, résultat de l’exposition au soleil, et écorchée par le labeur. Chez cette dame, Maëlle ne voyait pas d’imperfection. Certes, sa peau était pâle, mais sans être cadavérique. Ses cheveux brun clair coiffés en une tresse épaisse allaient jusqu’au bas de son dos. Ses lèvres étaient finement dessinées et l’adolescence commençait à lui donner de très alléchantes hanches. Sa poitrine aussi restait assez développée pour son âge. Et dire que Maëlle et la châtelaine avaient presque que le même âge. Seulement deux ans les séparaient.
Cependant, ce que le disciple trouvait de plus magnifique chez la dame demeurait ses yeux. Des yeux profonds dont on avait l’impression qu’ils pouvaient voir à travers vous et sonder les moindres recoins de votre âme. Des yeux aux teintes grises et bleues claires parsemés d’un ou deux petits triangles noirs dans l’œil gauche. Ils étaient soulignés par de magnifiques cils longs et courbés à souhait. Il semblait à Maëlle qu’elle venait de se faire envoûter.
L’écuyer reprit son souffle et chercha de nouveau la domestique. Elle alla dans la salle indiquée un peu plus tôt. La servante préparait le bain dans une cuve en bois. Maëlle précisa qu’elle se laverait après son maître. La domestique ne comprit pas le détail de l’écuyer mais acquiesça en retournant à son travail. Soulagée, Maëlle revint auprès du chevalier et en profita pour s’allonger sur sa couche, comme le faisait son maître. La servante appela le chevalier qui alla prendre son bain. Puis ce fut au tour de l’écuyer. Rolland tarda son apprenti du regard quand il partit de la chambre. Maëlle se lava en vitesse. Pendant qu’elle se savonnait, elle regardait les formes nouvelles qui commencer à apparaître sur son corps. Elle sortit vite de la cuve en bois. Maëlle commençait à se poser des questions. Le temps ne lui apportera que des problèmes.
L’heure du dîner arriva. Rolland et son écuyer s’installèrent à la table de la châtelaine. Le repas sortait de l’ordinaire pour Maëlle : elle n’avait que rarement l’occasion de manger de la viande en raison de son rang social. Mais là, ici et maintenant, elle en avait enfin le droit sans blesser lèse-majesté. Elle savoura lentement les mets préposés en s’appliquant à avoir le plus de tenue possible. Rolland lui avait expliqué de nombreuses règles de bienséance mais l’apprentie n’était pas sûre d’avoir tout retenu. Alors, elle faisait attention au moindre de ses gestes pour ne pas brusquer son hôte et son maître. Le silence régnait dans la salle. Pas de rire, pas de blagues, pas de gens qui trébuchaient comme à l’auberge, il n’y avait que le silence en guise de compagnie. La châtelaine regardait attentivement l’écuyer. Elle était amusée par sa gaucherie et admirative de sa détermination à vouloir bien faire.
– Chevalier Rolland, j’ai une faveur à vous demander : j’aimerais que votre écuyer me tienne compagnie à certains jours de la semaine, précisa la châtelaine Ode.
– Madame, sans vouloir vous offenser, dans l’enseignement de mon disciple, il n’y a pas de place pour ce genre d’activité, répondit Rolland.
– Mais votre écuyer n’est, au vu de sa tenue, pas de la noblesse. Il lui manque donc certains enseignements que vous ne pourrez pas dire qu’ils sont dispensables. Je veux bien lui apprendre l’écriture, la poésie et les codes de la noblesse. Je vous laisse évidemment le soin de lui apprendre l’équitation et l’art du combat.
– Madame, en ce sens, je ne peux évidemment pas refuser. Je vous accorde que je n’ai pas choisi un écuyer de sang bleu. Après tout, la chevalerie vient de la noblesse du cœur. Il m’a semblé chez ce garçon qu’il possédait cette qualité. A quels jours pensez-vous, châtelaine ?
– Disons les deux premiers jours de la semaine, ça vous irait ?
– Comme il vous plaira, Madame.
Maëlle ouvrait grands les yeux pendant que son maître et la châtelaine conversaient. Elle avait arrêté de manger et ne dévorait que les mots qu’ils échangeaient. La châtelaine s’intéressait à elle. Mais pourquoi ? Que lui trouvait-elle ? La jeune fille réfléchissait à toute vitesse. Elle ne pouvait pas s’empêcher de trouver la châtelaine extrêmement belle, toujours accompagnée de son élégance à tout moment même quand elle l’avait percutée. Elles avaient été si proches en cet instant, l’une de l’autre … Leurs visages avaient manqué de s’effleurer. Maëlle rougissait en y repensant, essayant de se distraire en se concentrant uniquement que sur son assiette. Il en fut ainsi jusqu’à la fin du repas.