La scission de l’ange, chapitre 4

Maëlle rejoint son maître une fois qu’elle eut fini de s’occuper du cheval. Elle était impatiente de savoir monter correctement et surtout ce cheval-là. Son maître la regardait attentivement en train de ranger ses affaires. Rolland avait l’impression qu’il n’avait pas un contrôle suffisant vis-à-vis de son apprenti. D’abord, il avait choisi seul de se laver après son maître, sans lui demander l’autorisation. Ensuite, il y avait dame Ode qui insistait pour prendre en main certains aspects de l’apprentissage de Maël. C’était beaucoup trop pour une seule journée.

    – Maël, il faut qu’on discute, commença-t-il.
    – Je vous écoute, maître, répondit l’écuyer en arrêtant son travail et en s’asseyant près de Rolland qui le lui avait demandé d’un signe de la main.
    – Ce que j’ai le plus apprécié chez toi la première fois que je t’ai vu est ton étonnante volonté de faire. Cependant, tu sais également te montrer très indiscipliné à certains moments. Le bain est un moment que tu ne dois pas avoir peur de partager avec ton maître. Il est même essentiel que nous nous connaissions mieux dans tous les moments de notre vie. Tu devras me confier les moindres détails de tes tracas, de tes désirs, tout ce qui peut te perturber et dont tu peux tirer un enseignement à la lumière de mon expérience.
    – Je comprends, messire, mais il m’est douloureux de me priver de ce moment d’intimité. Je vous en prie, je serais prêt à faire les tâches les plus ardues pour garder ce privilège ! supplia Maëlle.
    – Ce serait te compliquer la tâche, mon enfant !
    – Maître, vous êtes vous-même un chevalier errant qui n’obéit qu’au code d’honneur. Vous avez donc déjà eu de nombreux moments de solitude et d’introspection. Il met nécessaire d’en avoir moi aussi.
    – Pourquoi t’accorderais-je ce droit, toi, qui n’as pas demandé mon aval ?
    – Parce que je suis prêt à dupliquer mes efforts pour apprendre et être le meilleur écuyer que vous n’avez jamais eu.

Rolland soupira. Il était vraiment déterminé. Le chevalier pouvait sentir sa force que caractère et sa conviction. Il décida alors de lâcher du lest, en lui accordant cette seule faveur. En échange, il l’engagea à lui trouver les tâches les plus ardues, car il ne voulait pas lui laisser de répit et surtout ne pas lui laisser croire qu’il était un enfant de cœur, cédant au moindre caprice de son élève. Il mit alors en place un moment de confession où son apprenti s’installerait près de lui dans son lit.

Pour tout dire, Maël était le premier écuyer de Rolland. Certes, le chevalier était un homme mûr, cependant, il n’avait trouvé parmi les nobles aucun garçon aussi déterminé que Maël pour remplir ce rôle. En effet, les décisions étant prises par les parents, l’homme d’armes avait senti chez tous ces enfants un boulet qui leur était attaché au pied et qui selon lui, ne leurs permettait pas d’atteindre la pureté de cœur et d’esprit exigée par le code d’honneur. Maël allait être une extraordinaire exception dans le milieu de la chevalerie : il allait être un des rares hommes de son temps à être né pauvre et à pouvoir accéder à un titre de noblesse. Il fallait donc que son élève soit le plus parfait possible pour qu’on ne lui reproche pas ses origines. Et ça commencera par l’humilité et l’obéissance presque aveugle à son maître.

Jusqu’à la fin de la semaine, Maëlle avait déambulé dans le château d’innombrable fois. Jours et nuits, elle n’avait fait que travailler dans presque toutes les fonctions que pouvaient occupées les suivantes de la châtelaine : balayer et nettoyer les sols et les plafonds (voir les toiles d’araignée disparaître était le seul plaisir de la tâche), laver, mettre au sec, ranger tous les linges et robes de la maîtresse de maison, affairer en cuisine, aider à la vaisselle, servir les repas, ramener le plus possible d’eau potable pour la consommation quotidienne mais également pour le bain, entretenir les fleurs du château ainsi que diriger les chèvres qui s’occupaient de la pelouse de la haute cour.

Ajoutez à cela, les tâches habituelles d’un écuyer : brosser la robe du cheval, décrotter ses sabots, nettoyer l’armure et les tuniques de son maître. Rolland exigea également de lui de faire des nuits de veille auprès des gardes perchés en haut des tours, et qu’il participe à de longs entraînements physiques. Maëlle était épuisée et n’avait pas le temps de prendre correctement soi d’elle. Elle ne se lavait plus dans un bain mais dans une bassine comme les domestiques. Elle trouvait que ça lui prenait moins de temps et qu’elle ramenait moins d’eau grâce à cette technique. Elle mangeait également moins, ce qui se voyait pendant les entraînements avec Rolland où elle s’effondra quelques fois.

Son maître avait décidé de commencer avec le combat à main nue où Maëlle ne se débrouillait pas trop mal, si on oubliait ses moments de faiblesse dû à sa façon de s’alimenter. Instinctivement, Maëlle utilisait ses jambes pour se défendre, ce qui n’était pas commun. Rolland lui déconseilla ce genre de technique puisqu’il était essentiel de garder son équilibre pendant le combat et lever la jambe même pour porter un coup à l’adverse lui sembler pénalisant. Le chevalier lui apprit alors à bien tenir sur ses jambes en le poussant de nombreuses fois. L’élève était tombé trop souvent pour son maître. Il décida ainsi de reprendre l’exercice du combat à main nue mais en précisant qu’il ne devait se défendre uniquement avec ses bras. Son maître put alors constater que la force de ses bras était bien mince comparée à la puissance de ses jambes. Le chevalier arrêta l’entraînement là et pensa à se donner le temps de réfléchir à de nouveaux exercices pour faire progresser plus rapidement son élève.

 C’était maintenant le début de la semaine, consacré uniquement à passer du temps avec la châtelaine Ode. Maëlle se leva de bon matin et fut surprise de pouvoir prendre du temps pour son petit-déjeuner. Elle savoura à nouveau l’odeur et la saveur du pain. Elle était heureuse de pouvoir souffler un peu. Et dire qu’elle devait faire tous ses travaux pour protéger son secret ! Mais elle ne le regrettait pas. Elle se sentait devenir plus forte et plus combative. Elle n’était déjà plus la même personne depuis une semaine. Il ne fallait pas non plus lui gâcher la chance qu’il lui était donner. En terminant le quignon de pain, elle se dirigea vers la chambre de son hôte et attendit patiemment qu’elle en sorte. Il n’avait jamais été aussi agréable de laisser le temps passait sans rien faire.

Dame Ode sortit enfin de sa chambre, un sourire habillant son visage. Maëlle salua son hôte, et la châtelaine l’invita à rentrer dans la chambre. L’écuyer se sentit rougir. Une personne comme elle, vêtue d’une simple tunique de toile et d’un pantalon troué ne pouvait espérer un tel traitement de faveur. Elle entra dans la grande chambre de la belle femme qui se retourna vers elle pour lui demander de s’asseoir.

    – Que savez-vous, cher écuyer, de la manière de vivre des nobles ? questionna la châtelaine.
    – A vrai dire, pas grand-chose Madame, on n’apercevait que très rarement le seigneur de mes terres natales quand je vivais là-bas.
    – Pensez-vous avoir appris quelques principes en arrivant ici ?
    – « Peu » ne correspond pas à ce que j’ai appris, ma suzeraine. J’apprends énormément en peu de temps.
    – Alors dans ce temps, j’ai hâte de vous apprendre tout ce que je sais. Cependant, il faudra tout de même faire un tri dans les enseignements. L’écriture et la lecture sont primordiales pour s’adresser aux grands de ce monde et obéir ainsi que comprendre les ordres de ses supérieurs. Nous commencerons donc par cela. Nous continuerons avec l’art de bien se tenir devant les nobles et tous les protocoles différents qu’il faut connaître si on ne veut pas frôler l’incident diplomatique. Ces deux éléments, vous ne pourrez pas vous en priver. Mais pour le reste, j’ai des tas d’idées en tête. Je suis très sensible aux arts ! J’aimerais avoir un ami pour partager mes nombreuses passions. Cela vous ferait-il plaisir de devenir mon compagnon d’art, Maël ?
    – Infiniment, Madame, répondit-elle en s’agenouillant.
    – Ne faîtes pas autant de manière, voyons. Ici, vous pouvez être plus à l’aise en ma compagnie tant que personne ne nous voit.
    – A vos ordres châtelaine.

Décidément, Maël était un garçon bien têtu. Mais c’était tellement attendrissant dans les yeux de dame Ode.

    – Appelez-moi simplement Madame, Maël, ça me fera le plus grand plaisir. Mais revenons à ce que nous disions : je ne pense pas que vous soyez un génie malheureusement et je sais que je n’aurais pas le temps de vous apprendre tout ce que je voudrais dans les arts. Nous avons un grand choix devant nous et je vais vous soumettre à la décision de ces disciples. Voici ce que je vous propose : le chant, la musique, le dessin, la peinture, la poésie, la danse … Voyons voir … Que puis-je vous proposer d’autres ? Ah oui ! Il y a également la broderie, la tapisserie … J’ai failli l’oublier ! Si l’écriture vous plait, je pourrais vous conduire à un moine qui fait des reliures et enluminures magnifiques ! Qu’en dîtes-vous, très cher ?
    – Euh …
    – Evidemment, le choix n’est pas du tout facile. Nous ferons autant d’art que vous le désirez et que vous le pouvez. Seulement, n’avez-vous pas la moindre idée de ce qui peut vous plaire après ce que je viens de vous exposer ?

Maëlle réfléchit quelques instants. Elle pensa à sa mère, Capucine, qui chantait merveilleusement bien. Sa voix animait toute l’auberge et ravissait les voyageurs qui, une fois le soir venu, n’écoutait qu’elle racontant les chansons populaires, joyeuses mais aussi tristes. Elle savait apaiser les troubles des bagarreurs en lui promettant un chant. Maëlle aurait aimé faire de même. Mais elle n’avait jamais pris le temps de le faire, c’était tellement plaisant de n’écouter que sa mère. De plus, elle pensait que jamais elle ne pouvait égaler Capucine, ce qui la découragea à essayer de faire vibrer ses cordes vocales dans ce sens.

Puis, il y avait la poésie et la danse. Certains adultes du village aimaient y consacrer du temps. Notamment les troubadours de passages. C’étaient des vrais charmeurs. Avec leurs versées et leurs histoires de héros, ils passaient leur temps à draguer sa mère. Cependant, ils arrêtaient vite quand Jean montrait le bout de son nez. Son allure importante les dissuader fortement de tenter quoique ce soit. Cela faisait rire Capucine, qui admirait l’autorité naturelle de son époux. Et puis, les troubadours avaient de belles manières quand ils s’agissaient de faire ce qu’ils savaient : chanter des histoires. Maëlle pouvait rester des heures près d’eux, écoutant attentivement les aventures de ses héros préférés. La poésie rendait le récit que plus féerique et fort à ses oreilles.

Il y avait également les fêtes du village : les carnavals et simples beuveries enflammaient tout le patelin d’une joie communicative. C’était la danse qui hantait tous les corps des hommes et femmes réunis en un cercle exhortant les soucis de la vie en profitant de ses bienfaits. La danse était l’expression du bonheur mais aussi ce qui avait rapproché énormément d’amoureux pendant ses instants-là.

    – Si je peux me permettre Madame, le chant, la poésie et la danse m’ont toujours attiré.
    – Oh, trois arts complémentaires ! J’ai hâte de voir ce que vous valez dans ces domaines. Très bien, nous ferons ce que nous pourrons. Mais pour l’heure nous allons débuter par l’écriture qui n’est pas amusante à mon goût. Cependant, elle est terriblement utile.

La châtelaine présenta des feuilles de papiers vierges et des modèles de lettres à côté. Maëlle s’appliqua pendant ces matinées à les recopier soigneusement. Le soir, dame Ode demandait à l’écuyer de la rejoindre dans sa chambre pour lire des livres. Jean avait déjà initié Maëlle à la lecture, ce qui rendait son apprentissage plus facile. Cependant, l’écriture lui demandait plus d’effort. L’écuyer appréciait ses moments en compagnie de la châtelaine. La dame n’était ni trop sévère, ni trop laxiste. Elle était une enseignante parfaite pour l’apprentie chevalier.

Malgré tout, la suzeraine prêtait beaucoup d’attention au jeune écuyer. Quand elle le voyait le lundi, elle passait un certain temps à panser ses blessures faites à l’entraînement. Elle bavardait énormément avec lui en parlant de sa vie avant le mariage avec le châtelain du Basilic. Sa mère était une véritable vipère qui ne cherchait qu’à gagner de l’influence. Sa fille n’était qu’un des moyens pour y parvenir. C’était pourquoi elle avait coupé toute relation avec cette dernière, à la suite de son mariage. Cependant, elle en payait maintenant le prix : elle était seule face à ses adversaires politiques dont le premier sur la liste : son beau-frère.

Maëlle était une oreille attentive pour la noble dame. Elle cherchait toujours à la consoler et à la comprendre, ce qu’appréciait grandement la jeune femme. Cette dernière n’était pas insensible non plus au charme de l’écuyer. Elle admirait la brillance de ses cheveux ondulés bruns foncés qui lui arrivaient aux épaules. Sa peau un peu mate lui donnait un air exotique : cela changeait des peaux pâles des dames de cour et des nobles. Ses yeux noisette en forme d’amande intimidaient parfois la suzeraine. Mais la plupart du temps, elle savait les regarder tout en parlant. Ainsi, elle avait l’impression de mieux sentir le ressenti de son interlocuteur.

Dame Ode avait envie d’avoir un ami avec qui l’on peut tout dire, avec qui l’on peut tout partager. Cela ne lui posait pas de problème que ce soit un garçon, pourvu que ce soit un ami. Et puis, Maël était loin d’être désagréable physiquement. La finesse de ses traits au visage lui donnait parfois l’envie de l’embrasser. La suzeraine n’avait eu aucune expérience en amour et pour cause : le châtelain était mort avant qu’elle soit en âge qu’il ait le droit religieux de la toucher. De plus, le châtelain l’avait délaissé, beaucoup trop occupé par ses affaires diplomatiques qui étaient maintenant les siennes.

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