Notre histoire se passait en l’an de grâce 1455, en Transylvanie. Une dynastie régnait alors sur ce royaume : les Dracula. Le prince Vlad était destiné à prendre le trône à la mort de sa mère Isabeau de Florence. Cependant, le jeune prince avait disparu depuis quelques mois déjà, laissant une famille, dans le désespoir. Mais le royaume avait tout de même un nouveau dauphin pour la dynastie : Dimitri Dracula, le frère jumeau de Vlad. Lui qui alors avait toujours erré dans l’ombre de la royauté, allait enfin pouvoir montrer tout son talent de dirigeant.
Personne n’avait jamais appris ce qui était arrivé au jeune prince disparu et qui n’était jamais revenu. Personne ne savait que le beau et élégant prince d’autrefois, était devenu un monstre hideux qui inspirait la crainte et la terreur, dans les villages les plus reculés de Transylvanie. Il traquait de pauvres innocentes jeunes femmes. Les paysans les retrouvaient mortes dans les forêts, avec une morsure au cou sans traces de sang. S’ils s’aventuraient trop longtemps dans ces lieux, certains pouvaient même voir leurs spectres qui erraient sans répit. De très braves jeunes gens, arrivaient parfois à dialoguer avec ces étranges silhouettes féminines. Ils savaient alors qui leur avait fait cela.
C’était un grand homme, ni mort ni vivant, aussi pitoyable que ces spectres. Il avait, dit-on, aspiré leurs âmes, les privant ainsi du repos éternel. Mais personne n’osait avouer qui il était vraiment. Ce n’était personne d’autre que le prince Vlad Dracula. Par ces révélations, tout le monde le prit pour un monstre sans cœur et sans lois. Et pourtant, même si son cœur ne battait plus, il n’était pas moins un homme. Il avait alors dans sa jeunesse succombé à la délicatesse d’une élégante jeune fille nommée Marie Goldforest. Elle était la fille de l’ambassadeur anglais. C’était d’ailleurs son éducation à l’anglaise, qui lui donnait un certain exotisme, faisant tourner le regard du jeune prince Vlad. Elle portait toujours des vêtements très raffinés, toujours fabriqués avec des tissus de très grande valeur. Elle avait un très bon goût pour l’habillement : tous ses vêtements mettaient en valeur la forme de son visage, ses yeux d’un vert intense et ses cheveux dorés.
Le jeune vampire, car il n’était rien d’autre, n’avait jamais oublié la belle Marie. Il voulut alors la voir, rien qu’une dernière fois.
Je me souviens de Marie, la fille de l’ambassadeur. Je me souviens de ce moment de ma vie en tant qu’homme. Je n’avais jamais aimé aucune autre femme. Elle était la seule qui avait réussi à faire battre mon cœur. Et c’était dans le grand mystère de l’amour, que j’essayais de me faire remarquer. Cependant, je ne voulais point profiter de l’avantage que j’avais sur les autres hommes : à savoir mon statut de prince qui m’aurait été bien utile. Je voulais qu’elle m’aime en tant qu’individu. Je savais qu’elle avait comme passion le théâtre. Elle aimait les farces, et allait souvent sur la place de la capitale pour s’entraîner avec quelques compères à faire rire les paysans, qu’elle affectionnait tout particulièrement.
Je décidai alors de m’y rendre, bien que je n’appréciais pas vraiment la foule. Elle était bien là, les cheveux au vent, en train de jouer la paysanne. Je trouvais cela complètement grotesque venant d’une dame d’esprit de la cour. Elle s’amusait devant ceux qui devaient être mes futurs sujets, à s’insuffler dans la peau d’une pauvre femme, en train de prendre son mari pour Crésus. Le bougre avait réussi à lui faire croire qu’il avait arnaqué un riche marchand. Mais je ne comprenais toujours pas, comment dans une situation aussi ridicule, elle arrivait encore à être aussi magnifique à mes yeux. Une fois sa petite mascarade terminée, j’eus subitement l’idée d’aller lui parler. On aurait dit qu’elle n’avait jamais été aussi heureuse, alors moi, par pur questionnement, lui demandais quel événement avait bien pu la mettre dans cet état-là. Elle répondit que faire rire le peuple, c’était les rendre heureux. Et que si le peuple était heureux, alors tout bonnement, elle était heureuse aussi. Elle affirmait que la scène était un lieu d’échange, de bonheur. Qu’il n’y avait nulle part ailleurs, une sorte de grand partage de bonheur, et que c’était pour cela qu’elle aimait autant les farces. Je trouvais son explication audacieuse et tout à fait pertinente. Après avoir répondu à ma question, elle se demanda pourquoi moi, le prince, se risquait à aller dans la foule. Je lui répondis que je me souciais de mon peuple, et que je voulais voir ce qui pouvait bien lui remonter le moral. Elle souriait timidement. Nous riions ensemble de la farce, puis nous retournions au château. Elle partit dans ses appartements, et moi dans les miens.
Cependant, je n’avais pas sommeil. Je me souviens bien de cette nuit … oui … je me souviens bien. Il faisait un froid horrible. Ne dormant toujours pas, je décidais de partir me promener dans la forêt non loin du château, comme à mon habitude quand je n’avais pas sommeil. Ce fut la pire décision de toute ma vie. Je me baladais tranquillement, donc seul, alors que les bruits de chouettes et de chauve-souris commençaient à me perturber. Je ne me sentais plus en sécurité. J’avais comme une sorte d’intuition. Elle se vérifia peu de temps après puisque sortant de nulle part, une énorme chauve-souris enragée me mordit au cou, dans une grande hâte avec une rage impressionnante. Elle enfonça ses crocs avec lenteur mais avec force. Ce qui causait chez moi une énorme douleur, si forte que je tombai à terre. Je criais, mais personne ne m’entendait. Puis, je ne savais pas pourquoi, elle arrêta d’enfoncer ses crocs. Il y eut un moment de silence insupportable. Je ne bougeais pas, ne sachant pas ce qui allait advenir de ma personne. Puis, sans prévenir, elle renfonça ses crocs d’un coup sec et bref qui me tua sur le moment. Mais chose étrange, je voyais maintenant mon corps et l’énorme chauve-souris noire qui m’avait tué. Elle lâchait ma dépouille et se transformait en une forme abjecte d’homme …
Enfin cela, c’était ce que je croyais. C’était en réalité le diable, qui se trouvait juste en face de moi. Il me regardait et me fit un grand sourire à faire trembler de peur les héros les plus braves. Il m’expliqua alors, ce qui m’était arrivé. Il m’avait fait l’honneur, selon lui, de me faire mourir. Mais il avait une bonne raison : il m’avait choisi, pour être une créature démoniaque. Il voulait qu’en échange de pouvoir être sur terre, j’aspire des vies chastes et pieuses. Je lui demandai la raison, d’une telle atrocité. Il me prouvait que si j’aspirais leurs âmes, elles ne trouveraient jamais le repos éternel et n’iraient donc point au royaume des cieux. Je ne comprenais pas … je ne savais même pas par quel miracle j’étais encore en face de mon cadavre. Satan le comprit et déclara que mon âme apparaissait en face de lui sous forme de spectre, car il m’avait ôté tout espoir, toujours selon lui, d’aller au paradis. Il ajouta que c’était ce qu’il adviendrait aussi des personnes que j’aspirerais. Il ajouta qu’elles seraient en plus sous mon commandement. L’idée, je l’avoue, n’était pas tentante du tout : être au service du diable, était pour moi une trop grande injure à Dieu, en qui j’avais toujours cru. Cependant, une image me traversait l’esprit, une seule ! Et elle suffisait à me faire changer d’avis. Ce n’était même pas ma famille que je voyais, c’était la belle Marie. J’imaginais ne jamais la revoir, et comme un amoureux aveugle, j’acceptai sa proposition. Il sourit encore, puis disparut.
Soudain, mon âme se dirigea contre sa volonté vers mon corps. Je n’y croyais pas, je respirais de nouveau. J’ouvris les yeux. Je regardais mes mains, et je constatais quelque chose d’étrange. Alors, j’allais voir mon reflet près du lac. Mais je m’aperçus que mon corps avait changé : ma peau était blanche comme si j’étais encore mort, mes canines étaient proéminentes, mes oreilles si rondes étaient désormais en pointe. Mes lèvres avaient la couleur du sang et mes dents étaient d’une blancheur éclatante. Mes sourcils, si fins auparavant, s’étaient transformés en un gros sourcil. Seuls mes yeux gardaient leurs couleurs marron.
Je ne pensais à ce moment-là, qu’à une seule personne : Marie. Je décidai de la voir. Je courus très vite vers le château. Quelques minutes plus tard, j’arrivai au pied du mur. Là, un certain réflexe animal m’ordonnait de monter sur le mur et c’était ce que je fis. Je vis la fenêtre où se trouvait la chambre de la pauvre enfant. Je voulais prendre l’apparence d’une chauve-souris, et casser la fenêtre. Je ne savais pas pourquoi, l’idée m’avait pris de vouloir pendant une seconde, être une chauve-souris. Cependant, il avait suffi de cette seconde pour que je sois, subitement transformé en une grosse chauve-souris noire. Je me rendis compte qu’en réalité, cette apparence était celle de la chauve-souris qui m’avait mordu. Je compris alors, qu’en me mordant, j’avais acquis le pouvoir et l’apparence de cette bête.
Je cassai la fenêtre. Marie dormait profondément mais fut réveillée en sursaut. Je m’approchai d’elle. Mais j’étais toujours en chauve-souris, ce qui représentait un inconvénient majeur. Je me disais alors qu’il suffisait de vouloir pour pouvoir. Ma volonté fut accomplie et je repris ma forme humaine. J’avançai lentement vers elle. Marie ne me reconnut pas tout de suite et me demanda de me présenter. Je fus surpris, mais après avoir réfléchi je la compris : je ne devais pas être très séduisant avec cette peau affreusement blanchâtre maintenant. Pour qu’elle comprenne qui j’étais, Je lui dis : « le peuple était heureux, alors tout bonnement, je l’étais aussi. » Elle souriait et pleurait en même temps. Il me semble qu’elle était heureuse de me revoir. Elle souriait et me demandait de m’approcher. J’étais de plus en plus surpris par ses réactions. Mais je m’approchais tout de même. Elle me serra dans ses bras et me dit que je lui avais manqué. Je ne comprenais plus rien. Je venais à peine de la quitter dans la soirée. Puis, elle affirma m’avoir vu dans son rêve me faire agresser par une énorme bête et que j’en étais mort. Je la rassurai en lui disant que j’étais toujours vivant. Elle avait l’air tellement traumatisée par son rêve, qu’elle me serrait de plus en plus fort. Je pensai que c’était l’émotion qui la poussa à faire cela ce soir, car après une brève discussion, elle m’embrassa.
Et c’était à ce moment-là, je ne savais pas pourquoi, qu’il me prit soudainement l’envie d’aspirer une âme, je me sentais à la fois aussi faible et aussi puissant grâce à ma soif ! Je ne pouvais me contrôler à mon grand désespoir. Je commençais à me pencher sur son cou. Je la sentais irrésistiblement attirée par moi, alors que je n’avais pas l’allure d’un galant homme. Elle était dorénavant calme et paisible. Elle ne bougeait pas comme si elle attendait quelque chose et continuait à me serrer dans ce bras toujours si délicat. J’atteignais son cou, enfin. Puis, j’ouvris grandement la bouche et fis ressortir mes canines. Elle respirait dans la plus grande lenteur qui soit et j’entendais battre son cœur. Elle commençait à bouger un peu et avait l’air surprise tout en gardant les yeux fermés. Soudain elle prononça ces mots : « pourquoi, mon ami, ne puis-je point entendre le doux son que devrait produire votre tendre cœur ? ». Je ne savais quoi répondre. Cependant, je lui répondis tout de même que c’était parce qu’il ne battait pas fort et très lentement, si bien que l’on ne pouvait pas l’entendre. J’avais toujours la bouche ouverte en proie sur son cou. Quand je sentis qu’elle commençait à se débattre, j’enfonçai mes dents de chauve-souris avec une grande rage, la même que celle de ma tueuse ailée. J’absorbais son âme à petit feu. Je sentais son esprit atteindre ma chair. Je voulais enlever mes dents qui étaient devenues des crocs, mais je ne pus y arriver. J’avais soif d’elle … l’étreinte ne dura pas longtemps, et elle tombait vite sur son lit. Moi, je la regardais sans comprendre ce que j’avais fait. La réalité était que je le savais, mais que je n’osais pas me l’avouer, tellement le choc était terrible. Je venais de tuer la personne qui m’était la plus chère au monde … pire même, je venais de la priver du repos éternel. Elle était la raison pour laquelle j’avais accepté d’être un monstre … Et elle était ma première victime … Je m’en voulais énormément d’avoir commis ce geste et jamais je ne me le pardonnerai. Dans la clarté de la nuit, je voyais son esprit bleu azur scintillant de mille feux autour de moi. Je venais de tuer la personne qui devait être … ma femme.